Le mot Caodaïsme vient de Cao-Dài dont la traduction littérale correspond à : Palais Suprême. Ce double terme se trouve dans les plus antiques prières bouddhiques. Ceci situe la principale origine de cette religion qui est d’abord, nous le verrons, celle du Bouddhisme rénové.
Religion nouvelle ( son message essentiel date de 1926 ), Le Caodaïsme plonge ses racines aux traditions les plus éprouvées du Bouddhisme et aux révélations les plus pures.
Le Caodaïsme est, jusqu’à un certain point, comparable à ce que le Protestantisme était, à son origine, vis-à-vis du Catholicisme romain. Du reste, même cette possibilité de comparaison est déjà dépassée dans le sens bénéfique, c’est-à-dire dans le sens de la bonne entente, comme il est maintenant permis d’envisager pour un avenir plus ou moins lointain l’union des Église chrétiennes dans une totale unité catholique.
Ce qui caractérise le Caodaïsme, c’est son esprit de synthèse. C’est pourquoi son rôle conciliateur peut rendre de grands services à la paix religieuse, donc à la paix tout simplement.
Il n’y a pas de sectarisme dans Le Caodaïsme, aussi au lieu de tendre à l’opposition des religions entre elles, cette religion nouvelle constitue et constituera de plus en plus une invite permanence à la bonne entente entre les diverses obédiences religieuses, mystiques, philosophiques ou ésotériques.
Bonne entente de toutes les forces spirituelles qui doit donner au monde une meilleure harmonie sur tous les plans.
Notre regretté ami, Gabriel Gobron, voulait montrer la beauté, les réalités, l’efficacité de la religion caodaïste tout en exposant l’histoire et la pratique.
Gabriel Gobron, né à Bayonville le 5 juillet 1895, a quitté son enveloppe charnelle et de souffrance le 8 juillet 1941 à Rethel.
Polyglotte émérite, chercheur infatigable dans le monde de l’Esprit et des esprits, romancier, historien, journaliste, professeur, Gabriel Gobron fut un curieux et aussi un curieux homme. Grand c÷ur, par sa générosité intellectuelle débordante, il fut polémiste ardent.
Curieux certes, mais sans dilettantisme quand il pensait avoir découvert une beauté spirituelle, une vérité philosophique ou religieuse, il voulait aussitôt la faire connaître, la faire partager. Il n’hésitait pas à combatte, toujours avec fougue, ceux qui, à ses yeux, voulaient mettre la lumière sous le boisseau. C’est ainsi qu’il découvrit le Caodaïsme, c’est ainsi qu’il combattit jusqu’à son dernier souffle, en priant pour son épanouissement. Gabriel Gobron, grande intelligence, fut surtout un grand cœur
Après la période de recherches, d’études et de découvertes dès 1930, Gabriel Godron fut un propagateur convaincu, un initiateur éclairé et bientôt, officiellement accrédité du Caodaïsme en Occident et plus particulièrement en France.
Conférences, articles, études se succédèrent et avec des textes demeurés inédits, ils formèrent un dossier copieux dont le présent livre posthume est une des principales parties.
C’est ainsi que le présent ouvrage constitue un authentique message de l’Au-Delà. Ce fut pour nous une ÷uvre bien consolante de mettre au point ce texte et, hélas ! de le réduire à deux cents pages.
Message de l’Au-Delà, cette œuvre posthume sera, nous l’espérons, particulièrement bien accueillie par les nombreux amis spirites de l’auteur qui a tant fait, par la plume, la parole et l’expérimentation, pour le Spiritisme.
C’est, on peut bien le dire, le Spiritisme qui mena Gabriel Gobron vers le Caodaïsme car, ainsi que nous le verrons, cette religion, véritable Bouddhisme rénové, eut à son origine, et conserve encore, des liens certains avec le Spiritisme. D’où le second sous-titre dicté par Gabriel Gobron : Le Spiritisme annamite.
Par respect pour la mémoire de l’auteur, autant que pour l’exactitude de présentation, nous avons conservé ces deux sous-titres qui qualifient parfaitement : Le Caodaïsme, Bouddhisme rénové et Spiritisme annamite Nous aurions pu, pour être complet, ajouter : synthèse des religions. C’était là empiéter sur un ouvrage que nous espérons plus tard révéler au public si on nous donne les encouragements nécessaires. Encouragements qui sont d’un ordre purement spirituel.
Car le Caodaïsme, né du spiritisme, rénova le Bouddhisme et s’est ensuite épanoui dans un harmonieuse synthèse des religions. Ceci sans rien perdre de ce qu’il y avait de meilleur dan son origine spirite, ni de sa formation bouddhique.
Véritable théosophie, la doctrine caodaïste attirant en elle en parfaite sélection, tout ce que les autres religions avaient de bon, de beau et, surtout, d’essentiel soit dans la morale pratique, soit dans le rituel, soit dans la philosophie.
La grande modestie du Frère Gago ( c’est ainsi qu’appellent Gabriel Gobron les caodaïstes d’Indochine ) eût volontiers limité son rôle à celui d’avocat-polémiste, propagandiste de la religion nouvelle. Ses études, ses méditations, sa mystique lui méritèrent davantage. On peut dire aujourd’hui qu’il est le premier philosophe et le premier historien du Caodaïsme.
Son œuvre semblait être inachevée lorsqu’il quitta la quotidienneté de la vie pour l’Orient éternel ; avec la publication du présente livre, sa valeur d’historien du Caodaïsme se trouve confirmée.
De l’Au-Delà, Frère Gago nous éclaire et nous protège car telle était la volonté profonde de sa Foi.
Pieusement, écoutons-le accepter sa mission avec une humilité toute caodaïste :
» Si nous avons accepté ce rôle ingrat de premier historien du Caodaïsme, c’est que nos frères et amis d’Annam ont jugé dans leur indulgence excessive que nous étions l’un des Occidentaux les mieux documentés sur les progrès et les tribulations du bouddhisme rénové.
Une santé précaire ne favorise guère les devoirs accablants d’une telle charge. Nous nous excusons auprès du lecteur attentif, de toutes les imperfections de notre travail, nous lui demandons seulement, surtout, de nous pardonner quand il nous arrivera de n’être pas » dans la ligne « , c’est-à-dire fraternel, même envers nos adversaires et nos ennemis : C’est qu’alors le Caodaïste aura été indigne, il ne sera pas même arrivé à la Seigneurie de soi-même, le malade aura arraché son bonnet dans un mouvement d’humeur et piétiné les pages les plus sublimes du Christ, du Bouddha, de Confucius… »
Avec componction, nous avons transmis le message, il ne nous reste qu’à nous taire pour laisser le lecteur lire, délivré de nos commentaires, le premier livre posthume de Gabriel Gobron.
LES ORIGINES DU SPIRITISME ANNAMITE
Le Rev. Stainton Moses fit au Mont Athos une retraite de six mois au cours de laquelle il étudia la théologie et confronta diverses thèses contradictoires. Excellent exercice qui ramène l’esprit, trop porté à être doctrinaire, dogmatique, intolérant, à plus d’humilité, de sagesse, de vérité. Il fut ensuite nommé dans un petit presbytère de l’Ile de Man où les loisirs ne lui manquèrent pas : Nature, lecture, prière, méditation, silence et contemplation mystiques firent de lui un orateur poignant : L’esprit Impérator s’était saisi déjà de lui et entendait ne plus le lâcher, pas plus que son démon ne lâcha Socrate. Impérator mena le Rev. Stainton Moses à l’Université d’Oxford, mais surtout fit de lui l’un des plus précieux instruments de la » Nouvelle Révélation « , l’un des médiums les plus subliment inspirés de notre siècle.
C’est dans la même solitude, dans le même calme, dans la même retraite médiative, que Cao-Dài trouva son premier caodaïste. Pas de temple plus beau que celui de la Nature, pas de livre plus divin que le grand Livre de la Vie : Jésus se retire au Jardin de Gethsémani, au Désert même ; Saint François d’Assise parle à la petite s÷ur la pluie, au petit frère le vent, aux étoiles silencieuses, aux hirondelles bavardes, et il passe sa main sur le museau du loup de Gubbio qu’il ramène chez lui comme un bon chien docile. Le naturaliste suédois Bengt Berg arriva à faire pondre et à faire couver dans sa main l’oiseau le plus craintif de la Laponie : Lahol
( Mon ami le pluvier, Stock ). Là où est le Saint, la terre est sainte et la nature surnaturelle.
Le premier Caodaiste
Ce fut au début de l’année Binh-Dân ( 1926 ) que le Caodaïsme fut définitivement fondé. Mais depuis six ans déjà, un homme adorait le Grand Maître Cao-Dài : M. le Phu Ngô Van Chiêu, qui fut ensuite en service au 2ème Bureau du Gouvernement de Cochinchine.
Délégué administratif, en 1919, au poste de Phu-Quôc, île située dans le Golfe de Siam, M. Ngô Van Chiêu menait une vie de haute sagesse, conforme aux règles rigoureuses de la Doctrine taoïste. De temps en temps, dans cette localité isolée si propice à la vie religieuse, il s’adonnait, à l’aide de jeunes médiums de 12 à 15 ans, à l’évocation des Esprits supérieurs ( Câu-Tiên ) de qui il recevait les instructions nécessaires à son évolution spirituelle. Parmi les Esprits communicants, il s’en trouvait un qui se nommait Cao-Dài et s’intéressait de façon particulière au Phu Chiêu.
Au début, ce nom souleva l’étonnement général des personnes présentes parce qu’à leur connaissance aucun livre religieux n’en avait fait mention. Néanmoins, le Phu Chiêu, dont la perspicacité faisait l’admiration de ses camarades, crut y reconnaître un surnom de Dieu à cause des révélations et des enseignements d’une haute portée philosophique qu’il en avait reçus maintes reprises.
Ayant demandé à Cao-Dài la permission de l’adorer sous une forme tangible, il reçut l’ordre de le représenter par un oeil symbolique.
Telle fut la conversion du premier caodaïste à la nouvelle religion qui devait, six années plus tard, s’implanter à Sàigon. Bientôt, les fonctions administratives du Phu Chiêu le rappelèrent à la capitale, où il conquit quelques prosélytes à la Foi nouvelle. Mais quittons pour le moment ces premiers convertis pour montrer aux lecteurs la manière dont le Grand Maître recruta ses médiums.
C’était au milieu de l’année Ât-Suu ( 1925 ). Un petit groupe de secrétaires annamites appartenant à diverses administrations à Sàigon, se délaissaient chaque soir, en faisant du spiritisme. Ils se servaient à cet effet de la » table frappante « . Les premiers essais furent médiocres. Mais à force de patience et d’entraînement, ils obtinrent des résultats positifs. Aux questions posées aux Esprits, soit en vers, soit en prose, ils recevaient des réponses surprenantes. Leurs parents ou amis défunts se manifestèrent pour leur parler d’affaires de famille et leur conseiller en même temps l’abnégation. Ces révélations sensationnelles leur apprirent ainsi l’existence d’un monde occulte.
Toutefois, un des Esprits communicants se faisait remarquer particulièrement par son assiduité et ses enseignements d’une haute portée morale et philosophique. Cet Esprit qui signait sous ce pseudonyme » AAA » ne voulait pas se faire connaître, malgré les prières des assistants. Bientôt, d’autres secrétaires annamites vinrent grossir ce petit groupe de spirites amateurs. Les séances devinrent alors plus sérieuses et plus régulières. Comme l’emploi de la » table frappante » n’était pas commode, l’Esprit en question la fit remplacer par la » corbeille à bec « . Avec cet appareil qui permet l’écriture directe, les communications devinrent naturellement plus rapides et moins fatigantes pour les apprentis-médiums.
Le 24 décembre 1925, à l’occasion de la Noël, l’Esprit guide, qui s’était obstiné jusque-là à garder l’anonymat, se révéla enfin aux néo-spirites comme étant » l’Être Suprême » venant sous le nom de Cao_Dài pour enseigner la vérité au pays d’Annam. S’exprimant en annamite, Il dit en substance :
» Réjouissez-vous de cette fête. C’est l’anniversaire de ma venue en Europe pour enseigner ma doctrine. Je suis très heureux de vous voir, ô disciples pleins de respect et d’amour à mon égard ! Cette maison de l’un des médiums aura toutes mes bénédictions. Les manifestations de ma Toute-Puissance vous inspireront encore plus de respect et d’amour à mon égard… »
Dès lors, le Grand Maître initia ses disciples à la doctrine nouvelle.
Tel fut le recrutement des premiers médiums chargés de la réception des messages divins.
Sur Chiêu, le premier caodaïste, la Revue caodaïste ( n° 22, mars 1933 ), à l’occasion de sa désincarnation, nous apporte quelques détails.
I. – Son enfance
Le Phu Ngô Van Chiêu vint au monde le 28 février 1878 à Binh-tây ( Cholon-ville ), dans une modeste maison située derrière la pagode dédiée à Quan-Dê, le Turenne chinois.
A sa naissance, il refusa le sein de sa mère qui dut lui donner, à la place du lait naturel, du bouillon de riz.
Ses parents, qui étaient fort pauvres, vinrent s’établir par la suite à My-tho et le confièrent à sa tante, qui l’envoya à l’école. Doué d’une vive intelligence, il ne tarda pas à se faire remarquer et à l’âge de douze ans, il se présenta lui-même à M. l’Administrateur de la province de My-tho pour solliciter une bourse qui lui fut accordée. Admis comme élève interne boursier, d’abord au cycle primaire, puis au cycle complémentaire du Collège de My-tho, il travailla avec ardeur et passa avec succès le concours de secrétaire du Gouvernement. Pour l’époque, cet emploi envié était le couronnement des études complémentaires franco-indigènes. Âgé alors de vingt et un ans, le jeune homme s’en contenta, faute de pouvoir pousser plus loin ses études, et pour venir en aide à ses parents.
II. – Sa vie de fonctionnaire et sa vocation religieuse.
Le fonctionnaire débutant fut affecté au Service de l’Immigration, à Sàigon. Il y passa trois ans, de 1899 à 1902. Ayant un penchant naturel pour les choses religieuses, il aimait à raconter les histoires des saints et les aventures des immortels de la Chine antique qu’il avait entendu narrer par des camarades chinois au temps où il était chez sa tante, mariée à un Chinois. Un jour, un de ses amis le surprit en train de raconter une histoire de saints à de petits élèves chinois de Cho-lon, à qui il donnait tous les soirs des leçons particulières. Il avait pour les génies et les saints un grand respect. Chez lui il avait dressé un autel en l’honneur de Quan-Thanh Dê-Quân. Il récitait souvent le » Minh-Thanh-Kinh « , livre de prières dont l’Esprit de ce grand général, doublé d’un homme de haute vertu, est l’auteur, et jeûnait deux jours par mois.
En 1902, au cours d’une séance de spiritisme qui eut lieu à Thu-dâu-môt, où il était présent, un Esprit supérieur se manifesta et, après lui avoir révélé sa prochaine mission religieuse, l’exhorta à pratiquer sans tarder le Dao.
Si nous consultons la Revue illustrée, qui a entrepris une série d’articles sur les différentes manifestations religieuses de l’Inde britannique, du Siam, de la Chine, du Japon, des Philippines, etc., nous trouvons dans le N° 2 de mars 1933 une étude sur le Caodaïsme en Indochine. Nous lisons au sujet de ses origines :
» De date récente ( 1929 ), le Caodaïsme a pris de l’ampleur rapidement et s’est étendu dans toute la Cochinchine.
Origine. – Au début de 1926, quelques jeunes lettrés annamites, tous bouddhistes, se réunirent dans un » compartiment » situé en plein centre de Sàigon. Ils avaient l’habitude de faire » tourner » la table et de se livrer à des expériences de spiritisme.
Or, après une période de tâtonnements, ils finirent par obtenir des résultats » surprenants « , dirent-ils, en se servant de camarades possédant un » fluide » puissant.
Ils furent au début en communication spirituelle avec des sages de l’Antiquité chinoise Ly-Thai-Bach, appelé plus communément Le-Tai-PE, l’Homère chinois, celui qui rénova les lettres sous la 13ème dynastie Tang ( 713-742 ) et fut un Taoïste fervent. »
Ainsi, une fois de plus, nous apparaît justifié notre sous titre : Le Caodaïsme ou Spiritisme annamite.
Il leur répondit de se servir de la corbeille.
Et comme ils lui demandaient de leur indiquer en quoi cela consistait – ( les personnes plus ou moins versées dans le spiritisme ou ayant seulement assisté à une seule séance voient d’après cela combien ils étaient encore novices ) – l’Esprit les engagea à s’adresser à leur compatriote, le Phu Chiêu, très versé en spiritisme, car il lui serait trop difficile à lui, de leur faire comprendre, au moyen d’une table, de quoi il s’agissait.
Du même coup, le Caodaïsme allait naître, ou plutôt allait entrer dans sa phase actuelle de popularité ; car, depuis de longues années déjà, comme on va le voir, un homme adorait Cao-Dài.
Cet homme qui suivait la sainte doctrine du Bouddha Gautama, n’était autre que le Phu Chiêu. En dehors de la morale du Bouddha et celle de Confucius qu’il vénérait comme des émanations divines, il croyait à l’existence d’un Être Suprême, Tout-puissant, Maître Souverain de l’Univers, qu’il appelait Cao-Dài. Il croyait aussi aux Esprits avec lesquels il se disait en relation depuis de nombreuses années. La dignité de vie de ce premier caodaïste, vers lequel étaient envoyés nos jeunes gens, était exemplaire. Ses compatriotes, à l’unanimité, le considéraient comme un très saint homme. Il enseigna aux secrétaires l’usage de la corbeille à bec, sur laquelle je reviendrai plus loin, ce qui facilita grandement leurs séances de spiritisme. Il y participa lui-même, heureux de disposer de médiums particulièrement doués, exercés, possédant un fluide extraordinairement puissant.
Après être entrés en relation avec le Phu Chiêu, c’est dans les même conditions sur les invitations du même esprit, qu’ils s’en allèrent trouver chez lui un autre de leurs compatriotes, ancien mandarin cochinchinois, membre du conseil de Gouvernement, Lê Van Trung, qui se livrait aussi, de temps à autre, à des séances de spiritisme; Lê Van Trung dont ils ignoraient le nom, avant que l’esprit ne le leur eût indiqué, n’avaient pas toujours mené, lui, une vie d’une sagesse exemplaire, il avait, au contraire, jouit de l’existence autant qu’il est possible de le faire au point qu’à l’heure où nos jeunes gens furent délégués vers lui pour recevoir son enseignement il avait en ripailles dilapidé la quasi totalité de sa fortune.
Ayant déjà dépassé la cinquantaine, Lê Van Trung, qui passait aux yeux de tous pour un matérialiste impénitent, à ses heures spirite amateur , considéra comme un avertissement de l’Être Suprême le fait d’avoir été désigné avec le Phu Chiêu qu’il connaissait de longue date, pour indiquer leur voie aux jeunes spirites. A partir de ce jour, il résolut de mener, lui aussi, une vie exemplaire et de se montrer digne de la mission pour laquelle il avait été désigné par Cao-Dài. En fait, il cessa brusquement de fumer l’opium sans en être incommodé le moins du monde ( ce qui prouve, disent les Caodaïstes, combien il était soutenu par l’Être Suprême, car un autre n’aurait pu se désintoxiquer aussi facilement ), il s’abstint de boire de l’alcool, de se nourrir de viandes, de poissons, devint, en un mot, un végétarien sincère et pratiqua l’ascétisme des bonzes les plus austères.
Cette conversion miraculeuse attira à lui un premier lot d’adeptes en général issus de familles aisées ou remplissant des fonctions administratives d’un rang assez élevé, notamment le Phu-Tirong, en service dans la province de Cho-lon, qui était, comme son collègue Chiêu, un homme d’une moralité supérieure, pratiquant en toutes occasions la vertu de l’humanité chère à Confucius, le doc-phu Lê Ba Trang, le huyên honoraire Nguyen Ngoc Tho et sa compagne ex-Madame Monnier, Cochinchinoise très riche, employant depuis de longues années une partie de ses revenus à des œuvres de bien faisance et de charité.
Le Phu Chiêu, qui avait tout d’abord été désigné pour remplir les fonctions de chef suprême de la religion, de pape du Caodaïsme, tint à rester à l’écart et fut remplacé par Lê Van Trung.
Comme je demandais à l’un des principaux dignitaires les raisons de l’attitude de Chiêu, il me fut répondu qu’il avait été le premier Caodaïste de Cochinchine, qu’il aurait dû normalement remplir les fonctions de chef suprême de cette religion, mais qu’il s’était montré une épreuve que Dieu lui avait assignée comme il en impose à tous les êtres supérieurs ayant de les élever, d’un degré, sur l’échelle dont le sommet est la perfection et qu’il était, de ce fait, obligé de racheter la faiblesse dont il avait fait preuve avant de reprendre la place à laquelle son passé semblait lui donner droit. »
Le Pape du Caodaïsme
La conversion de M. Lê Van Trung, qui devait devenir Pape du Caodaïsme, fut l’un des grands événements en Indochine :
C’était également en 1925, M. Lê Van Trung habitait à Cholon-ville. Adonné à diverses entreprises, dans le tumulte de cette ville vouée au culte de l’argent, il avait l’esprit complètement éloigné de la religion. Un soir, sur l’invitation d’un de ses parents, spirite convaincu et appartenant à une secte religieuse dite » Minh-Ly « (1) à Saigon, il se rendit à une séance médiumnique qui devait avoir lieu dans la banlieue, à Cho-gao.
A cette réunion, ce fut l’Esprit Ly Thai Bach qui se manifesta. Prenant à part M. Trung, Il lui révéla son origine spirituelle et lui annonça en même temps sa prochaine mission religieuse. Il exhorta alors à se soumettre aussitôt au régime imposé par la foi nouvelle. Touché par la grâce, M. Trung changea sans hésiter de vie. Soutenu par sa foi, il eut le courage de cesser aussitôt de fumer l’opium et de suivre le régime végétarien ; il abandonna également ses entreprises pour pouvoir se consacrer entièrement à la religion.
La conversion de cet homme, hier encore si attaché aux biens et aux jouissances de la vie, est si frappante qu’on peut se demander si les séances spirites organisées jusque-là à Cho-gao n’avaient pas été inspirées par des Esprits missionnaires dans l’unique but de ramener M. Lê Van Trung dans la voie de la Loi. En effet, lorsque celui-ci eut pris la résolution de vivre selon la foi nouvelle qu’il avait embrassée, ils ordonnèrent la dispersion du groupe spirite, au grand étonnement et à la profonde affliction de ses membres.
A Saigon, le Grand Maître, jugeant le moment venu, rapprocha ses médiums de M. Lê Van Trung. Il envoya alors deux de ceux-ci ( MM. Cu et Tac ) chez le nouveau converti, avec ordre d’y organiser une séance au cours de laquelle, il lui donnerait des instructions.
M. Trung, qui ne connaissait pas ces médiums accepta cependant leur proposition lorsqu’il eut appris les motifs de leur démarche.
Une séance évocatrice eut lieu. Le Grand Maître, entre autres enseignements, énonça à M. Trung sa grande mission prochaine dans la nouvelle religion qu’il allait fonder pour sauver l’humanité.
Cette révélation confirmait les allusions des divers messages spirites que M. Trung avait reçus à Cho-gao avec d’autres médiums. Elle fortifia sa conviction et l’encouragea à se consacrer sans réserve aux pratiques religieuses.
Quelque temps après, le Grand Maître envoya MM. Trung, Cu et Tac auprès du phu Chiêu, qui devait les guider dans la voie religieuse en qualité de frère aîné. Celui-ci qui, de son côté, en avait été instruit par le Grand Maître, leur fit le plus cordial accueil. Il les mit immédiatement en contact avec ses premiers coreligionnaires. Le noyau caodaïste fut ainsi formé qui comprenait une douzaine de membres, tous de culture française et employés, pour la plupart, dans diverses administrations à Saigon.
La ferveur et le désintéressement de ces pionniers de la première heure attirèrent bientôt à eux un nombre d’adhérents de plus en plus élevé. La religion caodaïste sortit alors de son cercle restreint pour se répandre dans le peuple au début de l’an Binh-Dan ( 1926 ).
M. le phu Chiêu, habitué à la solitude, fut contrarié par l’affluence des adeptes, qui l’inquiéta. Fonctionnaire conscient de ses devoirs, il prit la résolution de se tenir désormais à l’écart de ce grand mouvement religieux. M. Lê Van Trung fut alors désigné par le Grand Maître pour le remplacer ver fin avril.
Les premiers oratoires
. Les séances spirites continuèrent de plus en plus nombreuses chez des particuliers, et principalement dans les oratoires organisés, dans chacun des centres suivants : Cholon-ville, Cân-giuôc, Lôc-giang, Tân-dinh, Thu-duc et Câu-kho. Deux médiums furent affectés à chaque oratoire pour recevoir les enseignements du Grand Maître. L’admission des nouveaux adeptes y fut également décidée. Les adhésions vinrent en masse ; elles s’élevèrent même à plusieurs centaines d’inscriptions nouvelles à chaque séance.
La déclaration officielle du Caodaïsme
La nouvelle religion prit très rapidement de l’extension, tant elle fut reçue avec enthousiasme, surtout par le peuple. Soucieux d’agir au grand jour et de se tenir dans les limites de la plus stricte légalité, ses dirigeants firent une déclaration officielle signée de 28 personnes, qu’ils adressèrent à la date du 7 octobre 1926 à M. le Gouverneur de la Cochinchine. A cette déclaration fut jointe aussi une liste d’adeptes comportant les signatures des 247 adeptes présents à la cérémonie ayant consacré l’existence officielle du Caodaïsme.
La propagande.
Après avoir fait cette déclaration, à laquelle le Gouvernement local avait reversé un accueil courtois, les dirigeants de la » Grande Voie » organisèrent des missions de propagande dans l’intérieur.
Celles-ci étaient au nombre de trois, dont une pour les Provinces de l’Est, une pour celles du Centre et une pour celles de l’Ouest.
En moins de deux mois, plus de 20 000 personnes, parmi lesquelles de nombreuses notabilités indigènes, se convertirent à la nouvelle religion. Ce fut grâce au spiritisme, et surtout à l’infinie bonté de Dieu, qui se manifesta toujours à chaque prière invocatoire et dont les messages eurent une influence décisive sur les assistants, que le Caodaïsme doit ces conversions en masse.
Ce grand succès est dû également à la forme du nouveau culte, lequel n’a rien de contraire à ceux des principales religions pratiquées dans le pays.
La fête de l’avènement du Caodaïsme.
Dès le 10ème jour du 10ème mois ( 14 -11-26 ), les tournées de propagande furent interrompues. Tous les efforts des dirigeants furent concentrés sur la fête de l’avènement du Caodaïsme. Celle-ci eut lieu les 14, 15 et 16 du 10ème mois de l’année Binh-Dân ( 18, 19 et 20 novembre 1926 ) dans la pagode Tu-Lâm-Tu, située à Go-ken ( Tây-ninh ). Le Gouverneur Général de l’Indochine, ainsi que le Gouverneur de la Cochinchine et les grands fonctionnaires européens et indigènes y furent invités.
Célébrée avec solennité, cette fête réunit un nombre considérable d’adeptes accourus de toutes les Provinces de la Cochinchine. Elle attira également des milliers de profanes venus en curieux aussi bien qu’en observateurs. La présence de M. le Capitaine Monet, un grand spirite français, y fut également remarquée.
Ce fut pendant cette fête que le Sacerdoce Caodaïste fut institué et que le nouveau Code religieux fut établi et promulgué.
Le siège définitif du Caodaïsme.
Le Tu-Lâm-Tu est une pagode bouddhiste nouvellement construite par le hoà-thuong Giac hai de Cho-gao ( Cho-lon ), qui l’avait affectée à la nouvelle religion à laquelle il avait été converti. Mais après la fête, les fidèles bouddhistes qui avaient fourni les fonds pour l’édification de ce temple et qui n’avaient pas été consultés sur sa désaffectation, réclamèrent son retour à sa destination primitive.
D’autre part, l’expérience avait démontré que cette pagode était trop petite et que le terrain sur lequel elle est bâtie était trop exigu pour permettre d’installer convenablement le Siège de la nouvelle religion naissante, appelée à un grand avenir.
Sur les indications d’un Esprit supérieur, le terrain sur lequel se trouve actuellement le temple provisoire, fut donc choisi et acheté pour y fixer définitivement le Saint-Siège Caodaïque. Situé au village de Long-thành, province de Tây-ninh, il est assez vaste ( 100 ha. environ ) pour répondre aux besoins actuels et futurs.
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