Xing Nha épopée des Ê dê et des Jarai à Tay Nguyen
L’épopée Xing Nha reflète les mœurs et coutumes d’une société primitive. Le héros de l’épopée, Xing Nha, incarne l’invincibilité du peuple dans le combat contre l’oppression et son cortège de cruautés, de violences et d’injustices que représente le vieux chef de tribu Jaro Bu. Xing Nha était le fils du chef de tribu Jaro Kok. Celui-ci vivait, paisible et heureux, au milieu de ses gens avec sa femme et son enfant. Mais le chef d’une tribu voisine, Jaro Bu, qui convoitait ses richesses, lui déclara la guerre.
Au cours de la bataille, Jaro Kok tomba sous les coups de Jaro Bu. Sa femme, Hobia Da, fut emmenée en esclavage. Les gens fidèles au chef vaincu réussirent cependant à sauver le petit Xing Nha. Des années s’écoulèrent, Xing Nha devint un fort et grand jeune homme. Il se rendit seul dans le village de Jaro Bu pour venger son père. Il réussit à tuer Jaro Bu et à libérer sa mère Hobia Da.
Nous donnons ci-dessous la traduction faite par Nguyên Van Thu d’un extrait de la chanson qui relate les péripéties du voyage de Xing Nha vers le village de Jaro Bu, le combat à mort qui s’en suivit et la victoire du jeune héros). Les intertitres de l’extrait donnés par la rédaction sont là pour faciliter la lecture.
Rencontre de sa mère
(Xing Nha, armé de son bouclier et de son long sabre, partit en direction du soleil couchant. Il rencontra la fille Hobia Blao qui gardait le rây (1) de la tribu de Jaro Bu. On l’informa que sa mère était devenue esclave chez Jaro Bu. Déchiré à l’idée de savoir que sa mère était maltraitée, il chercha à rendre visite à sa mère grâce à l’aide de Hobia Blao, ndlr).
À la vue de sa mère, si maigre et si misérable, Xing Nha pu à peine contenir des larmes de douleur.
– Bien le bonjour, à vous, jeune hôte ! dit Hobia Da. Que voulez-vous de moi ?
– Je suis l’ami de votre fils Xing Nha. Il m’a demandé de venir vous rendre visite, Juk(2) !
Au nom de Xing Nha, Hobia Da défailla de douleur et de joie, et pleura à chaudes larmes.
– Ô mon fils bien-aimé, se lamenta-t-elle, quand tu étais petit, ta mère te portait sur le dos, ton père te nourrissait de légumes des forêts, de l’eau des sources. Je te regardais grandir chaque jour, j’espérais te voir devenir un homme afin d’aider ton père à confectionner les bottes de paille et les liens de bambous pour construire les maisons. Mais, hélas ! Ils sont venus jusque dans sa maison capturer ta mère et l’ont emmenée en esclavage garder les porcs et chasser les oiseaux. Devant les larmes de sa mère, Xing Nha ne pouvait plus contenir sa douleur. Il se leva et s’écria:
– Mère ! Me voici, je suis ton fils Xing Nha !
– Ô Dieu Yang ! ce n’est pas possible !…, cria Hobia Da, saisie d’une indicible émotion. Mon fils couvert de bracelets d’or et d’argent m’a été déjà enlevé par les diables. Xing Nha lui montra alors la jupe que sa fiancée lui avait remise.
– Regarde mère ! Reconnais-tu ton ancienne jupe ? Reconnais-tu les broderies que tu as exécutées de tes propres mains lors des veillées à notre +rây+ ? C’est moi, ton fils Xing Nha qui te la rapporte aujourd’hui !
Les yeux hagards, Hobia Da reconnut la jupe. Elle tomba à genoux en pleurant à chaudes larmes.
– Ô merci Dieu Yang, sanglota-t-elle ! Sauve-moi, ramène-moi chez nous, je n’en peux plus…
– Je te le promets, mère ; mais plus tard. Tu vois, je suis jeune et vigoureux, je voudrais d’abord me rendre au village de Jaro Bu !…
Tout en parlant, Xing Nha fit scintiller la lame de son sabre au soleil. Puis il tailla rapidement des gros bâtons avec lesquels il se mit à dévaster furieusement le paddy de Jaro Bu sur toute l’étendue d’une colline.
La belle Hobia Blao
Hobia Blao, fascinée, les yeux brillants de joie comme si une paire d’oiseaux +cu cu+ y chantaient, plongea son regard dans les yeux du jeune homme et dit :
– Ô oiseau étranger ! Pour qui as-tu chanté jusqu’ici ?
Xing Nha qui la comprit à demi-mot, répartit aussitôt :
– Ô, belle Hobia Blao ! Dans ce village, le rat a-t-il déjà grimpé sur le +pra+, le rhinocéros a-t-il déjà élu domicile sous les pilotis ?
– Hélas, pas encore, Xing Nha ! Mon corps est comme l’arbre calciné…placé sur le chemin, aucun voyageur ne voudrait le ramasser. Maladroites sont mes mains incapables de broder les papillons volant au-dessus des fleurs, ou les étoiles et les nuages dans le ciel.
Puis les deux jeunes gens échangèrent du bétel et du tabac et se tinrent longuement par la main, la jambe gauche du jeune homme s’allongeait à côté de celle, blanche comme du coton, de Hobia Blao.
– Le jeune homme, soupira Xing Nha, est hélas boiteux, borgne et manchot. Voudrais-tu de lui, Hobia Blao ?
– Ô, Xing Nha ! Il paraît que tu es déjà marié ? Ta femme ne s’appelle-t-elle pas Bra Tang ?
– … Je suis séparé de ma mère depuis ma tendre enfance, je suis orphelin de père depuis le temps où je ne savais pas encore lâcher le cerf-volant. Qui donc aurait voulu m’épouser, pauvre et miséreux comme je suis ?
– Réponds-moi franchement, Xing Nha pourquoi Bra Tang ne t’a-t-elle pas accompagné ?
– Je n’ai besoin de personne, autre que ma Hobia Blao. J’ai fixé désormais mon choix dans ce village pour planter mon maïs, mon riz et mes bananiers. Et après une journée passée dans la hutte de Hobia Blao, celle-ci lui dit :
– Ô Xing Nha ! Nous voilà désormais comme les deux gongs suspendus au vent, notre amour est comme la flamme de la lampe qui brille dans la nuit…
Vint la nuit. Hobia Blao s’assit tout près de son bien-aimé. Elle chanta un chant mélodieux pareil à la saveur sucrée du tendre maïs, de l’épi naissant du paddy. Son chant merveilleux s’épanchait comme une source intarissable jusqu’à l’aurore.
Le lendemain, il prirent tous les trois le chemin du village de Jaro Bu, Hobia Da marchant en tête suivie de Hobia Blao, Xing Nha fermant la marche. À la porte du village, le jeune homme déposa son bouclier et son sabre au pied d’un pilier qui s’incurva sous le poids de l’arme.
Les Ê-đê préservent toujours leur régime matriarcal |
Le combat
(Xing Nha suit sa mère et Hobia Blao à la maison de Jaro Bu. Il voit sa mère maltraitée par Hobia Gue, la femme de Jaro Bu. Xing Nha et Jaro Bu se sont affrontés, ndrl).
Jaro Bu lacha l’éléphant de Porong Mung, le même qui avait tué jadis Jaro Kok, un éléphant terrible toujours prêt au combat ! La bête fonça alors sur Xing Nha, l’une de ses redoutables défenses pointées vers le haut, l’autre vers le bas. Xing Nha bondit. Il empoigna les défenses de la bête, les secoua en avant et en arrière. L’éléphant barrit rageusement….
– Ô mes frères, cria Jaro Bu, affolé ! Xing Pu, Xing Pa, Xing La, Porong Tit, Porong Pha, Porong Mung ! Le plus redoutable de nos éléphants a été vaincu par Xing Nha.
– Ô Jaro Bu ! s’écria Xing Nha, prenez donc votre bouclier et votre sable !
Jaro Bu brandit le bouclier et le sabre. Mais à sa surprise, ils se brisèrent en morceaux.
– Ô Dieu Yang ! se lamenta Jaro Bu, qu’avez-vous fait de mes armes ?
– Ainsi votre bouclier et votre sabre ont vieilli comme vous. Allons ! que les sept frères Jaro Bu viennent avec moi à la porte du village examiner mon bouclier et mon sabre.
À cet instant, des nuages gros comme des montagnes obscurcissaient le ciel. Le tonnerre gronda. La porte du village était fortement inclinée d’un côté.
– Ce diable de Xing Nha a renversé la porte de notre village, hurla Jaro Bu.
– Ô Jaro Bu ! que vous et vos six frères essayent donc de soulever mon bouclier.
Jaro Bu s’arcbouta. Il saisit les courrois du bouclier et fit un effort prodigieux pour le soulever. La sueur inondait son front et sa poitrine, mais le bouclier ne bougea pas. Cinq autres frères de Jaro Bu lui prêtèrent vainement la main. C’était maintenant au tour de Porong Mung. De toutes ses forces, il réussit seulement à soulever le bouclier assez haut pour qu’un coq pût passer dessous. Xing Nha saisit alors son arme, la brandit bien haut au-dessus de sa tête et commença à exécuter des moulinets. Xing Nha tournoya le bouclier vers l’avant, provoquant un tel souffle qu’une toiture fut emportée. Puis il le tournoya vers l’arrière et c’était une autre qui s’écroula. Xing Nha tournoya toujours son arme.
Une classe du primaire des Ê-đê au Tây Nguen |
Des moulinets de Xing Nha
La maison de Jaro Bu vacilla. Le vent souffla de la montagne +Mo dan+. La maison du village de Jaro Bu furent bousculées. La tempête se déchaîna de la montagne +Ho mu+. Les maisons du village de Jaro Bu furent bousculées. La volaille, les cochons volèrent en l’air comme des feuilles d’arbres. L’eau du ruisseau déborda de son lit, emportant sur son passage poules, cochons, bœufs, buffles et esclaves de Jaro Bu.
Jaro Bu, épouvanté, appela à l’aide :
– Ô Hobia Blao ! Dis à Xing Nha de s’arrêter. Je ne garderai plus sa mère prisonnière. Je lui rendrai les gens, les esclaves, les biens de son père.
– Je ne le ferais point ! Et n’essayez pas de tromper une pauvre fille.
– Si j’essayais de te tromper, tous mes biens passeraient entre tes mains et je deviendrais ton domestique, le gardien de ta basse-cour.
Hobia Blao se vêtit de sa belle jupe, passa à ses chevilles des colliers d’or étincelant comme des étoiles. Elle courut vers Xing Nha qui continua à faire des moulinets avec son bouclier.
– Qui es-tu ?
– C’est moi Hobia Blao !
– Que veux-tu ?
– Jaro Bu te prie de cesser tes moulinets. Le vent a brisé toutes les jarres. Les esclaves de Jaro Bu ont été jetés à terre comme le citronnier et l’arbre «lach» submergés par les grandes crues. Jaro Bu et ses frères proposent de rendre la liberté à ta mère et de te restituer tous les biens qui appartenaient à ton père.
Xing Nha laissa choir son arme, apaisant d’un seul coup la tempête qui s’abattit sur le village. Les oiseaux +ket+ les oiseaux +ko tuôn+ recommencement à se disputer les fruits sur les arbres et reprirent leurs gazouillis.
– Je vous rendrai tous les gongs et les jarres qui appartenaient à votre père, lui dit Jaro Bu.
– D’accord ! répondit Xing Nha. Mais attention Jaro Bu ! Si, par malheur vous reniez vos paroles je saurai alors vous retrouver et vous abattre.
Le lendemain matin, Xing Nha retourna au +rây+ de Hobia Blao. Hobia Da, sa mère, lui dit :
– Ô Xing Nha ! Mon fils bien-aimé ! Maintenant rentrons vite chez nous.
– Ô ma mère ! Comment pourrions-nous rentrer chez nous alors que mon corps est encore en sueur, que ma gorge est sèche, alors que je n’ai pas pu encore venger complètement les os de mon père ?
Devant lui, se tenait Hobia Blao qui revint du +rây+, le corps mouillé par la brume matinale, les seins adorables et frais comme le soleil à son lever.
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