Le roman sur la Déesse-Mère Y Lan: Le Pr- Dr Ngô Ngoc Liên vient de publier aux Éditions de l’Association des écrivains du Vietnam son premier roman, Mâu Y Lan (Déesse-Mère Y Lan). À l’heure de la retraite, ce fameux oto-rhino s’est tourné vers l’histoire et les lettres.
Le culte de Déesse-Mères (Tho mâu), animiste et syncre, relève des croyances populaires autochtones les plus anciennes du pays. Tous les génies de son Olympe sont des esprits surnaturels, sauf la reine Y Lan. Y Lan, dont le nom signifie «la Dame s’appuyant contre les orchidées», est un personnage historique déifié par le peuple, comme c’est le cas de Jeanne d’Arc canonisée par l’Église catholique.
La régente
Y Lan (1044 (?) – 1117) est une paysanne vivant de l’élevage des vers à soie. Une fois, quand le roi Ly Thanh Tông (1023-1072) vient visiter la pagode de son village, il la voit appuyer contre les orchidées sur un arbre alors que la population s’empresse autour du cortège royal. Appelée par le roi intringué, elle répond avec simplicité et bon sens à toutes ses questions. Le souverain l’amène à la cour, la nommant Y Lan (Dame appuyée contre les orchidées). Devenue reine, elle dirige plus d’une fois les affaires d’État avec une compétence inégalée. Une fois, en l’absence de son mari, parti en guerre, elle fait preuve d’excellente administrateuse défendant l’intérêt du peuple et punissant des mandarins corrupteurs.
Régente à la mort de son époux (son fils n’étant âgé que de sept ans), elle réalise des réformes efficaces : rachat de filles pauvres vendues aux riches pour les marier, développement de la culture. Elle soutient aussi le général Ly Thuong Kiêt (1019-1105) qui repousse avec succès les invasions chinoises. Le drame de la vie d’Y Lan, c’est d’avoir pris une décision causant la mort de la reine principale Thuong Duong et de 72 concubines royales. Fervente bouddhiste, elle a fait pénitence le reste de sa vie en multipliant les œuvres de charité et la construction de pagodes.
Lettrée, elle a laissé ce gatha (kê) qui compte parmi nos œuvres littéraires les plus anciennes :
«La forme est le vide le vide est la forme
Aucun lien ne lie forme et vide
Telle est la vérité de l’absolu»
Le peuple reconnaissant lui consacre le culte dans une centaine de pagodes.
Faire revivre la Jeanne d’Arc vietnamienne
Dans son livre Mâu Y Lan, l’auteur Ngô Ngoc Liên allie deux genres opposés, l’histoire et le roman. L’histoire cerne la vérité tandis que le roman ouvre la porte à la fiction. Homme de science, l’auteur tend à respecter rigoureusement l’histoire, mais il n’hésite pas à créer des personnages et des faits surtout à exploiter le merveilleux (Y Lan a enfanté le prince héritier grâce à la réincarnation d’un unique, un premier ministre métamorphosé en tigre) pour mieux peindre les caractères et faire revivre une époque. Ci-dessous est la scène de la rencontre du roi Ly Thanh Tông avec la jeune et belle paysanne qui deviendra Y Lan :
«À l’entrée du village Thô Lôi (actuellement la commune de Duong Xa, arrondissement de Long Biên, Hanoi, Ndlr), flottent les oriflammes et brûle l’encens. Une foule compacte, bigarrée, bruyante, attend le cortège royal dès les premières lueurs de l’aube. Le roi descend de son cheval pour marcher un peu et se dégourdir les jambes. À peine a-t-il fait quelques pas que les gens, impatients, courent à sa rencontre, au grand dépit des gardes royaux et des notables locaux qui cherchent à rétablir l’ordre. Sa majesté, par contre, accueille avec un doux sourire les vivats enthousiastes :
-Que sa Majesté vive dix mille printemps !
Rencontre du roi, devenue reine
Après la cérémonie d’accueil solennelle, le roi enfourche son cheval pour faire le pèlerinage d’une pagode voisine. Le cheval marche lentement en frétillant de la queue comme pour partager la joie de la foule délirante qui suit le cortège. Au détour d’un sentier s’engageant dans la campagne, le roi arrête son coursier pour mieux sentir un parfum apporté par la brise. L’odeur suave vient des orchidées pendant à un arbre séculaire qui pousse sur un mamelon, au milieu d’un champ de mûriers verdoyants. Curieux, le roi fait à pieds une centaine de coudées pour atteindre l’éminence. Il est émerveillé de découvrir appuyer contre les orchidées une jeune fille d’une beauté angélique. Ses yeux de colombe et son minois éveillé lui jettent un charme. Il finit par lui demander :
– Pourquoi n’es tu pas venue m’accueillir avec les gens du village ?.
La fille lui répond posément :
– Sir, pardonnez à votre humble sujet. J’habite assez loin. Je suis venue ici cueillir des orchidées pour fleurir le tombeau de ma mère au pied de ce banian. Je n’ai pu rentrer à temps pour vous accueillir. Mais d’ici, je puis contempler ma Majesté et rapporter cet événement à l’âme de ma mère.
Le roi lui dit :
– Ta pitié filiale m’émeut. Pour marquer notre rencontre, je voudrais te donner le nom Y Lan (S’appuyer contre les orchidées), es-tu d’accord ?
Toute tremblante, la fille s’agenouille à ses pieds pour le remercier. Le roi la relève et comme il est poète à ses heures, il improvise le premier vers d’un +câu dôi+ (1) :
– Une fleur d’orchidée rend un hommage printanier à sa mère !
Tandis que sa Majesté réfléchit pour trouver le vers suivant, la jeune fille murmure :
– Dix mille habitants du village souhaitent la bienvenue à sa Majesté !
Le roi, agréablement surpris, s’exclame :
– Mais tu as des lettres, ma fille !
Elle lui explique qu’elle a été formée par son père qui est maître d’école et par le bonze de la pagode du village qui lui fait apprendre et copier les sutras. Le roi, ravi, lui prend les mains et déclare :
– Je prends de l’âge et aucune femme du harem m’a donné un héritier. Peut-être que Bouddha a exécuté mes vieux en me faisant te rencontrer. Acceptes-tu de venir avec moi à la capitale pour devenir ma favorite ?
Inutile de dire qu’elle accepte en pleurant de joie. Elle ne demande qu’une faveur avant d’accompagner le roi : rentrer d’abord chez elle pour dire adieu et exprimer sa gratitude à son père et à sa marâtre qui l’a élevée depuis la mort de sa mère».
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