Adieu à l’An passé au Vietnam
Adieu à l’An passé au Vietnam: Chaque fois que revient le Têt, je ne peux m’empêcher d’évoquer le souvenir d’un Têt au maquis, au temps de la première guerre d’Indochine.
C’était au début des années 1950, après la Bataille qui avait libéré la frontière vietnamo-chinoise faisant sauter un verrou important de l’encerclement français et préparant le terrain pour la victoire finale de Diên Biên Phu en 1954. Le gouvernement Hô Chi Minh et le QG du général Giap se trouvaient dans les montagnes du Viêt Bac. Cette année là, j’ai fêté le Réveillon du Têt, le soir du 30e jour du 12e mois lunaire, au Camp des ralliés allemands, dans une forêt de bambous. Ils sont une cinquantaine d’anciens soldats de la Légion étrangère du Corps Expéditionnaire Français en Extrême-Orient (CEFEO).
Des Allemands fêtent le Têt vietnamien
Âgés de moins de 30 ans, ces recrues de la 25e heure de la Wehrmacht s’étaient engagées dans le CEFEO pour échapper aux persécutions des forces d’occupation française en Allemagne. Venus au Vietnam, les Allemands ont vu l’injustice de la guerre néo-coloniale et ont rejoint le côté vietnamien. Comme le gouvernement de la République démocratique allemande (Allemagne de l’Est) accepte de les accueillir, ils fêtent le Nouvel An vietnamien avec beaucoup d’allégresse, en attendant le jour du départ.
À cause de l’embargo franco-américain, la vie dans le maquis est très dure. On manque de tout, même de sel. Mais la direction du camp remue ciel et terre pour permettre aux nouveaux amis du Vietnam de préparer un festin mémorable : un cochon, du riz gluant, des haricots, des feuilles dzong (phrynium), de quoi préparer les banh chung, gâteaux traditionnels du Têt.
Les plats cuisinés laborieusement préparés pendant le jour sont disposés sur de longues tables de bambou flanquées de longs bancs de bambou, dans une immense paillote. La fête commence à la tombée de la nuit, à la lumière vacillante des torches et des lampes à acétylène. Les enfants du Rhin entament le lied traditionnel Adieu à l’An passé. Dans le froid glacial de la jungle tropicale, la voix de basse bien étoffée du chœur improvisé distille la douce mélancolie du Heimweh, mal du pays, germanique :
Adieu, frères, incertain est le retour
L’avenir, dans les ténèbres baigne, lourd est notre cœur
La voûte du Ciel recouvre tout le pays, adieu, adieu frères
Nous tous sommes dans la main de Dieu, adieu
Le soleil se couche, la nuit descend, le jour s’en va
Le monde dans le sommeil plonge doucement, s’éveille le chant du rossignol.
La voûté du Ciel reconnu tout le pays.
Ainsi, dans tout commencement la fin n’est pas bien loin
Nous venons et partons, nous nous en allons avec le temps
La voûte du Ciel recouvre tout le pays…
Bienvenue à l’An nouveau
À propos de ce lied Adieu à l’An passé, le sociologue Schuette m’a fait un commentaire d’un ton irrité : «Chaque fois que j’entends chanter cette chanson, deux sentiments opposés m’envahissent. D’une part, un sentiment d’attendrissement, le patelin, le Heimweh, thème très familier de la littérature populaire germanique. D’autre part, je sens monter en moi une grande colère tant je suis indigné contre l’usage que les Nazis avaient fait de ces lieds et d’autres vieilles chansons populaires pour allumer le feu de la haine raciste et conduire mon pays au désastre».
L’air de la chanson germanique Adieu à l’An passé est d’origine écossaise. C’est le fameux barde de l’Écosse, Robert Burns (XVIIIe siècle), qui avait composé la chanson For auld Lang Syne sur un ancien air écossais. L’air repris dans la chanson du scoutisme international. «Ce n’est qu’un au revoir, mes frères» a fait le tour du monde. La version vietnamienne commence avec le vers : «Gio dây, anh em chung ta» (Maintenant, frères…)
La chanson germanique Adieu à l’An passé est imbue de tristesse. Par contre, le message du Têt vietnamien respire l’optimisme :
«Adieu à l’An passé, qu’il emporte tous nos maux !
Bienvenue à l’An nouveau, qu’il nous apporte tout le bien possible, dans l’ambiance du renouveau universel».
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